Aleksandra Šaranović, ANTICORPS

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Au fil de l’histoire humaine, la notion de corps n’a cessé de se transformer, reflétant des visions philosophiques, religieuses et scientifiques changeantes. De l’idée du corps physique comme inférieur et périssable, simple réceptacle temporaire pour l’âme immortelle, en passant par les proportions divines de l’Homme de Vitruve et, plus tard, par les modèles scientifiques du corps-machine organique, nous parvenons aujourd’hui à un moment où les frontières physiques de l’individu biologique se dissolvent dans les visions de l’être proposées par le transhumanisme.

Au XXIe siècle, le corps n’est plus appréhendé comme une entité biologique statique, mais comme une construction dynamique née de l’entrelacement de la technologie, de la culture et de la politique. Les frontières entre biologique et artificiel, physique et numérique, individuel et collectif s’effacent, soulevant de profondes interrogations éthiques. L’appréhension du corps est désormais éminemment politique, façonnée par les mouvements sociaux, les bureaucraties d’État, le marché et les avancées technologiques. La manière dont nous définissons et traitons le corps constitue l’une des questions centrales de la société contemporaine, débattue à travers les enjeux d’identité, de pouvoir et de droits humains. Cette complexité nourrit inévitablement des réflexions et des pratiques artistiques multiples. Le corps n’est plus seulement valorisé pour la beauté de sa forme – motif privilégié de l’histoire de l’art – mais devient un instrument d’investigation artistique et de critique sociale, un terrain fascinant pour la transformation et la redéfinition de l’identité.

Parallèlement, l’influence des technologies contemporaines a bouleversé notre environnement visuel. Qu’il s’agisse de structures cellulaires observées au microscope électronique ou d’images diagnostiques (scanners, IRM, etc.), ces visions étranges et inaccoutumées transforment profondément notre regard sur le monde.

Dans ce cycle d’œuvres, j’essaie d’absorber l’abondance chaotique d’informations visuelles, de contextes et d’interprétations possibles du phénomène du corps. Je m’efforce en même temps de dévoiler – et même de souligner – une constante émotionnelle discrète sous ce « bruit » visuel. Ce noyau caché représente une prise de conscience intime et authentique du corps propre, et peut se manifester de multiples façons : le corps que l’on découvre, celui que l’on rêve, le corps que l’on met en fonction et que l’on modifie, celui dont on a honte, que l’on désire, qui souffre, nous trahit, nous effraie et, finalement, celui qui porte en lui les germes de la mort.

Le collage s’est révélé être la technique la plus pertinente pour un tel projet. Par son immédiateté, il introduit fraîcheur, humour et subversion dans le processus créatif. Il construit une réalité fragmentée et déconstruit la forme, ouvrant la voie à une perception dynamique et innovante de l’espace et des formes. Le résultat est une pratique plastique capable d’entrelacer plusieurs récits, représentés à travers des strates d’images : segments collés, décollés, peints, ainsi que des fragments de dessins ou de textes. Ce processus invite à suivre des flux parallèles et à pressentir les filaments profonds et assourdis qui suggèrent des interprétations plurielles.

Cette hybridation des démarches plastiques a conduit naturellement à l’élaboration d’une forme hybride – le « CORPS » ou « Anti-corps » –, désormais construit symbolique, homoncule composé de fragments d’images, de mécanismes, de textures, de jeux lumineux mystérieux et de visions dystopiques d’un avenir incertain.

Les matériaux employés incluent des images diagnostiques du corps – véritables « fantômes » lumineux dont la beauté éthérée adoucit la réalité explicite et parfois troublante de l’anatomie humaine. Les œuvres intègrent également des photographies de structures cellulaires de divers tissus, de textures naturelles, de microstructures ainsi que des dessins anatomiques. Les pièces exposées ont été réalisées entre 2023 et 2025.